Brigitte Bardot est une super star depuis 1956, qui attire les spectateurs sur son seul nom (elle a sorti en tête d'affiche sur cette période 7 films en route pour dépasser les 3M d'entrées!). Cependant habituellement ce sont plutôt des comédies ou du moins des films légers, alors que "La vérité" est un drame. "En cas de malheur", alors son seul film dramatique, dépasse déjà les 2,5M en un peu plus d'un an (en route vers les 3,15M); cependant elle en partageait l'affiche avec la super star Jean Gabin, habitué des succès auprès du public des films dramatiques, sur "La vérité" elle sera l'unique vedette, son public suivra-t-il?
Quant à Clouzot, il réalisa plusieurs gros succès populaires, dont dans les années 50 "Le salaire de la peur" (5,6M d'entrées à 1960, 6,95M 60 ans plus tard) et "Les diaboliques" (près de 3,4M d'entrées en 1960, et qui montera à 3,67M), mais son dernier film ("Les espions") sans être un échec a nettement moins marché (1,8M).
Le tournage de "La vérité" et le stress entretenu par Clouzot sur Bardot ont été très médiatisés, ainsi bien sûr que la tentative de suicide de la super star cinq semaines avant la sortie du film (mis en parallèle par la presse avec le personnage qu'elle joue, qui tente aussi de se suicider).
De plus au cours des années 50 la mode est au suivi des procès et au questionnement de la justice, y compris à partir de 1955 une émission populaire à la télévision naissante, mais aussi au cinéma avec les films de Cayatte : "Justice est faite" (1950) et ses 4,3M d'entrées, "Nous sommes tous des assassins" (1952) et plus de 3M de spectateurs, "Avant le déluge" (1954) et 2,7M d'entrées, et encore en 1955 1,2M d'entrées pour "Le dossier noir". Et "La vérité" s'inspire d'un fait divers médiatisé datant de seulement 7 ans.
Les deux millions d'entrées seraient un minimum pour "La vérité", ce que réussit à réunir Brigitte Bardot même sur des projets moins ambitieux, et plus de trois millions à terme ne seraient pas une surprise. Et sa sortie a toutes les chances d'être réussie, car la curiosité pour le parallèle entre le personnage et l'actrice est à son maximum. Il sort avec un avertissement sur l'affiche mais sans interdiction (ce qui aussi fera débat pour certains critiques de journaux catholiques).

"La vérité" commence sa carrière le 2 novembre 1960 sur 6 salles d'exclusivité, avec un bon résultat de 61 443 entrées sur 5 salles, c'est du même ordre que l'autre grosse sortie du jour ("Psychose" sur 6 salles avec 73 004 entrées, qui avait eu lui aussi une campagne publicitaire présortie réussie).
Le dernier (super) succès de Bardot, "Babette s'en va en guerre" (en route pour dépasser au final 4,6M d'entrées) avait démarré à 91 707 entrées sur 11 salles un an plus tôt, une pure comédie, donc ça s'annonce plutôt bien pour l'attente autour de "La vérité".
Et le débat est lancé, les critiques étant partagées, avec des avis parfois très divergents autant sur la morale que sur les qualités cinématographiques du film (les fans de la Nouvelle vague ne suportant pas le classicisme de Cluzot, et inversement Cluzot a ses fans), seule Brigitte Bardot fait l'unanimité sur son jeu (ce qui n'était pas le cas habituellement). Le débat sur la morale aura lieu aussi entre spectateurs, et fera parler du film.
En seconde semaine sur 6 salles, il monte fort à 97 687 entrées! (aidé par le vendredi 11 novembre)
Et il réussit l'élargissement de sa diffusion aux villes de province, avec 161 914 entrées sur seulement 22 salles, et il est second hebdomadaire.
En passant à 30 salles, il monte encore, à 193 535 entrées, devenant premier hebdomadaire. Le film était très attendu, et son parcours est du niveau d'un "Babette s'en va en guerre", même si ce ne que le début, celui-ci est réussi. Il faudra voir si le bouche à oreille le portera dans les mois et les années à venir, ou si le film ne sera qu'un évènement médiatique.
En passant à 43 salles, sa moyenne reste excellente, avec 257 165 entrées de plus.
Et il enchaine une seconde semaine de haut vol, à 246 798 entrées, sur 46 salles, passant déjà le million d'entrées en 6 semaines.
Cependant il fléchit la semaine suivante, sur 47 salles, à 179 803 entrées. Profitera-t-il des vacances qui vont commencer?
Pour la semaine de Noël, il passe second, derrière "Le capitan" plus familial, avec 177 528 entrées sur 37 salles. Puis il repasse premier la semaine du Nouvel An, avec 223 725 entrées sur 45 salles, pas spécialement impressionnant pour la période, une petite année pour les vacances de Noël (les années précédentes, les n°1 de Noël et du 1er de l'an passaient les 300 000 entrées, par exemple "Une parisienne" avec BB à 363 014 entrées en janvier 58; "Michel Strogoff" un an plus tôt est même à 0,65M). Il n'empêche que le film dépasse maintenant les 1,5M de spectateurs, en seulement deux mois. C'est déjà un franc succès.

Assez curieusement, le film est plus solide hors vacances, la première semaine de janvier post vacances il réalise 257 897 entrées sur 50 salles, plus du double du suivant! Alors que "Psychose" ne cumule que 550 000 entrées... (mais monte enfin en puissance, il fera un peu plus de 100 000 entrées la semaine suivante, second hebdomadaire, et finira 1961 à presque 1,4M d'entrées, et plus de 2M au fil des années; curieux qu'un film avec une campagne publicitaire si réussie n'ait pas eu un démarrage plus fort, comme quoi à l'époque ce n'était pas la pub et la première semaine qui faisaient le cumul final).
Et avec 200 452 entrées sur 42 salles (et encore une excellente moyenne), il dépasse les 2M en semaine 11. Il est désormais nettement en avance sur "Babette s'en va en guerre", qui cumulait alors 1,6M d'entrées, et avait une moins bonne moyenne par salle; "La vérité" s'annonce comme un très grand cru pour Bardot, dont la présence dans un rôle plus dramatique plait aussi, et pour Cluzot c'est le retour au grand succès populaire.

"La vérité" reste en tête encore 4 semaines, il a déjà passé au total 11 semaines en tête, puis il est dépassé par "Les 7 mercenaires" mi-février, il cumule alors 2 704 446 entrées. C'est sa dernière semaine consécutive au-dessus des 100 000 entrées, la 14ième!
Il repassera les 100 000 entrées deux semaines de plus, ce qui lui permet de franchir les 3M mi-mars.

Et fin mars il remonte au-dessus des 100 000 entrées, par deux fois, cela fait déjà 18 semaines qu'il est au-dessus de cette barre, un franc succès sur la longueur.
Et la semaine du 19 avril 61, à l'occasion de la sortie en exclusivité du nouveau film de Brigitte Bardot (qui se fait très nettement plus rare que dans les années 56-59), "La bride au cou" (comédie assez standard), la diffusion de "La vérité" remonte à 59 salles, et il repasse premier hebdomadaire avec 180 443 entrées, c'est la 12ième fois qu'il est premier hebdomadaire! Et "La vérité" en profite pour franchir les 3,6M de cumul. Les 4M ne font plus aucun doute. Et c'est maintenant le plus gros succès des films sortis en 1960!

Et il sera 4 semaines de plus au-dessus des 100 000 entrées, cela fait 22 fois qu'il franchit cette barre! Ce qui lui permet de passer les 4M d'entrées mi-mai, cela fait plus de 6 mois qu'il est sorti.
Fin mai, avec 4,2M d'entrées, "La vérité" devient le plus gros succès de Brigitte Bardot en tête d'affiche à cette date! Et "La bride sur le cou" approche déjà du million d'entrées, uniquement grâce à la présence de l'actrice. "Babette s'en va en guerre" vient de franchir les 4M. "Voulez-vous danser avec moi" franchira les 3M en 1962. Malgré peu de sorties depuis deux ans, elle reste l'actrice la plus vue de la période.

Fin mai, puis juin, c'est la dégringolade au box office, le film quitte le top 30 fin juin; puis comme souvent à l'époque il profite du trou de programmation estivale pour être de nouveau programmé en juillet et août et revenir dans le top 30, certes avec les petits chiffres d'été, mais tout de même il remonte même second du classement hebdomadaire en août, et franchit mi-août les 4,5M d'entrées. Puis il flanchit définitivement avec l'arrivée des nouveautés de la rentrée.

Fin 1961, il cumule 4 899 731 entrées, premier sur l'année calendaire 1961 (avec 3 300 133 entrées), et premier des films sortis en 1960.

En 1962, il ajoute encore 304 486 entrées, et cumule 5 204 217 spectateurs. "Ben-Hur", après une très longue période à tourner que dans quelques salles d'exclusivité à travers la France est enfin distribué de manière plus large en 1962, et dépasse les 6M d'entrées, reléguant "La vérité" à la seconde place des sorties de 1960, place qu'il occupe toujours.

En 1963, c'est encore 130 134 curieux de plus (cumul de 5 334 351 entrées), et les trois années suivantes il est assez stable autour de 50 000 entrées et ajoute ainsi 168 610 spectateurs, pour cumuler 5 503 961 entrées.

"La vérité" ne sera plus diffusé en 1967, mais il ressort fin 1968 et va cumuler 151 388 entrées, réparties jusqu'en 1972. Le cumul de "La vérité" est alors de 5 654 349 entrées.
Il ne sera que très peu vu en salle de 1973 à 1987, puis de 1988 à 1992, il sera de nouveau repris avec 35 971 entrées de plus. Il atteint alors 5 690 320 entrées. Depuis il est rediffusé en salle de ci de là, notamment dans des cycles Bardot ou Clousot (plus Clousot au XXIième siècle).

On pourrait penser que tous les films de ce début des années 60 ont des carrières à haut niveau pendant des mois, mais la carrière de "La vérité" est spécialement bonne sur la durée même pour 1960-61 : par exemple "La bride sur le cou" dépasse le million d'entrées en 7 semaines (presque comme "La vérité" qui mit 6 semaines), franchit les 2M après 6 mois (quand "La vérité" en était à 3,8M), et terminera sa carrière à 2,815M d'entrées, moins de la moitié du final de "La vérité" (malgré une exploitation au-dessus des 10 000 entrées pendant 7 années pour "La bride au cou").


"La vérité" est de loin le plus gros succès de Brigitte Bardot, assez étonnament car le film n'a pas le côté léger qui l'a rendu célèbre, même s'il joue sur l'image de l'actrice séductrice et sensuelle. Sans doute le film a attiré les fans de l'actrice mais aussi le public fan de Clouzot, et simplement sur la longueur celui qui avait entendu du bien du film (qui a été nommé à l'Oscar du meilleur film étranger - mais pas gagné contrairement à ce qui est écrit parfois; et a gagné aux Victoires du cinéma français les prix du meilleur film et du meilleur réalisateur en octobre 61). Et certainement que le débat au sein du film intéressa une partie des Français du début des annnées 60, et que les critiques assassines (sur la morale) contre les critiques enthousiastes ont aussi donné envie d'en savoir plus (mais le film aurait formellement déplu à la majorité, cela n'aurait pas suffi). On peut rapprocher son succès de celui de "Mourir d'aimer" en 1971, deux époques (pré et post mai 68) où l'évolution des moeurs vers plus de liberté sentimentale et sexuelle fut un sujet attirant le grand public, non seulement sur le ton léger de la comédie mais ausssi avec encore plus de force lorsque cela est alimenté par des faits divers réels et dramatiques.

Progression PONCTUELLE.
Entre 2000 et 5000 entrées en cinq ans mais au moins un an sous les 200 entrées.

Grâce à une petite reprise en 2017-18.